14 février 2007

Voyage au centre de la conscience

Deux expériences scientifiques étonnantes récemment relatées dans la Presse, invitent à se pencher encore et toujours, sur le mystère quasi insondable de la conscience.
On apprend par le Figaro, qu'aux Etats-Unis, une jeune femme vient de bénéficier, suite à l'amputation de son bras, de l'implantation d'une prothèse d'une efficacité stupéfiante. Elle répond à sa volonté grâce à une puce électronique interprétant les stimuli envoyés par son cerveau aux terminaisons nerveuses ! Ces dernières, hélas interrompues au niveau du moignon, ont été déroutées chirurgicalement vers plusieurs muscles pectoraux. Ces muscles ainsi activés transmettent un signal à un dispositif capable d'analyser une centaine de signaux neuronaux et de commander jusqu'à 22 fonctions distinctes de la prothèse.
Les chercheurs et chirurgiens du Rehabilitation Institute of Chicago (Illinois) ont ainsi la satisfaction d'avoir redonné à la patiente non seulement la fonction essentielle de pince manuelle mais la possibilité de mouvoir avec souplesse et tact son nouveau bras. Ils envisagent même à terme la possibilité d'élargir la technique aux stimuli sensitifs, via des capteurs dont les informations seraient par le chemin inverse, transmises au cerveau !
Dans un récent numéro du magazine TIME, on peut lire le résultat d'observations troublantes quant à l'activité cérébrale d'une patiente se trouvant dans un coma prolongé à la suite d'un traumatisme crânien. Grâce aux techniques d'imagerie par résonance nucléaire magnétique (IRM), des neurologues anglais et belges ont objectivé l'activation vasculaire de zones précises de son cerveau, lorsqu'ils parlaient à haute voix à côté d'elle : celle du langage quand ils récitaient des phrases abstraites, celles de l'orientation spatiale et de la reconnaissance visuelle lorsqu'ils lui demandaient d'imaginer l'intérieur de sa maison, celle commandant certains mouvements lorsqu'ils lui suggéraient de jouer au tennis...
Autrement dit cette patiente plongée en état végétatif, sans aucun contact apparent avec son entourage, semble avoir en son for intérieur, des éclairs de conscience !
Le même numéro détaille les réflexions les plus récentes de quelques hommes de science et de philosophes, sur ce sujet fascinant. Celles par exemple de Daniel C. Dennet, reprenant en quelque sorte l'antique problématique du bateau de Thésée.
Imaginant un sujet atteint d'une affection détruisant progressivement les différentes structures cérébrales, le savant tente d'anticiper ce qui pourrait se passer si la science pouvait à l'aide de prothèses très sophistiquées, remplacer les unes après les autres, les aires ainsi détruites par la maladie. Au bout du compte selon lui, cette personne donnerait probablement l'impression d'être satisfaite de retrouver progressivement ses facultés, mais personne ne pourrait savoir si ce soulagement exprimé correspondrait in petto à une sensation pleinement consciente.
Si l'on en croit Daniel C. Dennet, il serait donc objectivement impossible de distinguer un robot suprêmement habile (clever robot) d'une personne réellement consciente.
Ce dilemme débouche sur une alternative angoissante : ou bien l'être humain n'est qu'une masse de chair animée par un super-ordinateur cérébral, ou bien nous ne saurons jamais ce qu'est la conscience et si elle est capable de survivre à la mort du corps !
Il semblerait qu'en dépit des progrès de la science nous n'en sachions donc guère plus que les contemporains de Platon et de Socrate.
De nombreux penseurs contemporains paraissent pourtant avoir fait leur choix.
Depuis Jacques Monod et son fameux « Hasard et Nécessité », nombreux sont ceux qui ont adopté à sa suite une conception purement matérialiste des choses. En toute logique ils estiment qu'elle devrait tôt ou tard les conduire à percer le secret de notre plus profonde intimité.
En France, on compte Jean-Pierre Changeux parmi les tenants de cette thèse. Aux Etats-Unis, c'est Antonio R. Damasio qui l'exprime haut et fort depuis quelques années, stigmatisant notamment dans un ouvrage retentissant « l'erreur de Descartes ».
Pour le neurologue californien, la vision dualiste du corps et de l'esprit serait en effet un non sens. Il n'existe pas d'homoncule au sommet du cerveau, dont l'entité corporelle serait en quelque sorte le véhicule, et le cerveau l'ordinateur, capable d'intégrer et de gérer la multitude d'informations en provenance du monde, transmises par les organes sensoriels.
Tout serait lié et indissociable dans l'organisme humain, et ce qu'on appelle l'âme, ce qu'on imagine habituellement comme étant la partie la plus indicible de la conscience, « nonobstant le respect que l'on doit accorder à cette notion », l'âme « ne serait que le reflet d'un état particulier et complexe de l'organisme. »
S'il on admet ce schéma conceptuel, les progrès de l'intelligence humaine s'inscriraient dans le grand fatum évolutionniste darwinien, et il n'y aurait aucune finalité première à cette aventure étrange, née du chaos et abandonnée aux seules lois du hasard.
Il existe toutefois une autre façon de voir le problème. Elle est incarnée par le neurologue d'origine australienne John Eccles (1903-1997).
Ce n'est pas n'importe qui.
On lui doit la découverte des processus chimiques responsables de la propagation de l'influx nerveux, laquelle fut récompensée en 1964 par le prix Nobel de médecine.
John Eccles, en dépit de sa contribution très physique et matérielle au sujet, se refusait à une interprétation fermée de la conscience : « je maintiens que le mystère de l'homme est incroyablement diminué à tort, par le réductionnisme scientifique et sa prétention matérialiste à rendre compte du monde de l'esprit en termes de simple activité neuronale. »
Certes le cerveau est le siège d'une foule de processus sans doute accessibles, au moins en théorie, à l'explication rationnelle : « Si l'on admet que le cerveau est le siège de la personnalité consciente, il est clair que bien des parties du cerveau n'y sont pour rien ».
Mais il y aurait aussi quelque chose de « transcendant », quelque chose qui ne serait pas de nature matérielle et ne pourrait donc être réduit en équations. S'appuyant sur la physique quantique, Eccles soutient même qu'il n'y aurait pas de contradiction de principe à envisager l'existence d'une conscience indépendante du cerveau !
Il ne parvient à accepter l'idée que nous ne soyons que des machines très perfectionnées toutes construites sur le même moule, même s'il est évolutif. Les hommes sont tous les mêmes, ont les mêmes organes et le même cerveau, pourtant ils sont différents et chacun est unique. Chaque être humain a une destinée, modulée à l'évidence par les caractéristiques innées et les acquis des expériences vécues, mais elle ne peut être totalement expliquée par ces seuls avatars de l'existence. Pareillement, il est pour lui difficile d'imaginer la diversité humaine, tout comme celle de la nature en général, comme étant l'oeuvre du seul hasard.
Curieusement l'interprétation que donne Eccles de la conscience humaine, il la présente comme étant enchâssée dans un monde clos, parvenu dès à présent au bout d'un grand nombre de ses potentialités évolutives de départ.
Bien que reconnaissant l'apport de Darwin, Eccles pense que l'apparition de la conscience marque la fin ou plutôt le sommet de l'évolution sur terre. La sélection naturelle n'aura plus de prise sur l'être humain et aucune autre espèce animale n'a plus la moindre chance d'évoluer vers la conscience de soi. La voie royale est définitivement tracée pour l'homo sapiens sapiens
Au surplus, l'immensité de l'univers comparée aux dimensions microscopiques du monde spatio-temporel dans lequel il évolue, le condamne vraisemblablement à rester irrémédiablement liée à sa planète d'origine. Raison très forte s'il en est de la préserver !
Alors, expliquera-t-on un jour la conscience ? Cela semble improbable si l'on en croit Eccles qui semble ainsi inscrire son point de vue dans la logique implacable du fameux théorème d'incomplétude de Gödel (1906-1978). Celui-ci stipule qu'à l'intérieur d'un système formel donné, il restera toujours au moins une proposition indécidable, si l'on s'en tient aux seuls outils de démonstration logique contenus dans ce système. La conscience ne pourrait donc se connaître elle-même en totalité.
Cette analyse peut donc sembler paradoxalement aussi fermée que celle s'appuyant sur un froid et hasardeux matérialisme.
Mais il est une manière d'en sortir, c'est de postuler l'existence d'une entité extérieure à notre monde, autrement dit de Dieu.
C'est ce que fait Eccles qui le conçoit comme étant « le créateur de tous les êtres vivants qui sont apparus au cours de l'évolution, mais aussi de chaque personne humaine avec sa conscience de soi et son âme immortelle. »
Du coup, le monde est donc à nouveau plein d'espoirs, Eccles rejoint in fine son ami le philosophe Karl Popper, qui exprimait un optimisme éclatant en s'exclamant : « L'avenir est ouvert !»
Et il s'en sort par le haut si l'on peut dire. Nous sommes certes liés à notre chère vieille Terre mais seulement « tant que nous existerons sous forme corporelle ». Et c'est cette forme humaine qui définit pour l'heure la conscience : « l'évolution biologique s'est transcendée elle-même en fournissant la base matérielle – le cerveau humain – à des êtres conscients d'eux-mêmes dont la vraie nature est de chercher espoir et sens dans leur quête d'amour, de vérité et de beauté. »
Comment dès lors ne pas penser à cette magnifique citation de Schelling (1775-1854), qui définit à mon sens mieux que toute autre l'existentialisme : « A travers l'Homme, la Nature ouvre les yeux... et prend conscience qu'elle existe ! »
Quelques références :
Jacques Monod : le hasard et la nécessité
Jean-Pierre Changeux : l'homme neuronal
Jean-Pierre Changeux et Alain Connes : Matière à penser
Karl Popper et Konrad Lorenz : L'avenir est ouvert
Antonio Damasio : L'erreur de Descartes
Daniel C. Dennet : La conscience expliquée
John C. Eccles : Evolution du cerveau et création de la conscience

09 février 2007

Pas d'alternative à la confiscation fiscale


Décidément, quel pays étrange que la France, où l'on en arrive à prôner la pression fiscale par pur principe !
Car c'est bien ainsi qu'on est tenté de comprendre l'appel militant lancé par le magazine Alternatives Economiques aux gens qui "consentent à l'impôt" (et qui refusent les "mesures démagogiques", proposées par "des candidats à la magistrature suprême").
Au pied de la lettre, cette pétition est une sorte de tautologie puisque personne n'a jamais envisagé sérieusement une société sans contribution des citoyens au Bien Commun.
Mais en grattant, on retrouve la bonne vieille quincaillerie égalitariste qui voit de manière obsessionnelle tout allègement fiscal comme une porte ouverte vers la "sécession sociale des plus riches".
Pourtant, tout être humain normalement constitué, s'il consent à cette contrainte nécessaire, ne peut que souhaiter qu'elle soit la plus légère possible. Quelle pourrait être la motivation d'une autre proposition si ce n'est le masochisme ou bien l'espoir que le fardeau pèse avant tout sur les autres ?
Car enfin, s'il suffisait de créer des impôts pour améliorer le niveau de vie général et accroître le bonheur collectif, ça se saurait, et notre pays, champion des poids lourds en la matière serait un Eden...
Je suis personnellement abasourdi : comment une revue économique prétendue sérieuse peut-elle encore croire, comme les disciples d'Attac ou les nostalgiques du vieux Marx, qu'il suffise d'appauvrir les riches pour enrichir les pauvres ?
Il faut avoir vraiment peu de foi en l'être humain pour l'imaginer dépourvu à ce point de solidarité, d'altruisme, et d'initiative personnelle, qu'il faille le soumettre corps et biens au "conglomérat" si souvent irresponsable et peu clairvoyant qu'est l'Etat. Tocqueville disait que dans une société démocratique, la première tâche du gouvernement devrait être d'habituer le peuple à se passer de lui. Il serait selon toute probabilité bien déçu par ces initiatives déresponsabilisantes et rétrogrades !
Pour Frédéric Bastiat, brillant économiste français du début du XIXè siècle, mais hélas pas prophète en son pays, l'impôt loin d'être une merveilleuse « rosée fécondante » cachait une réalité perverse. Car avant d’arroser le pays de ses bienfaits, il a une fâcheuse tendance à l’assécher de ses ressources.
Il est d'ailleurs aisé de constater qu’il « pompe » beaucoup plus de richesses qu’il n’en redistribue en raison des lourdeurs de fonctionnement de la machine bureaucratique. Enfin, il reste à prouver que les largesses de l’Etat soient mieux réparties et utilisées que celles provenant d'initiatives privées.
Au surplus, les exemples foisonnent de pays ayant diminué les prélèvements obligatoires, qui ont vu les rentrées fiscales augmenter grâce à la croissance économique qui en est habituellement la conséquence. Je sais bien qu'évoquer en termes flatteurs l'administration Bush passe dans notre pays pour de l'hérésie, mais les faits sont là : sur le plan fiscal, malgré les baisses spectaculaires d'impôts ordonnées par le président américain, le Trésor Public américain a engrangé des recettes record ces dernières années.
Quelle sera la prochaine étape pour ces économistes moralisateurs : l'inscription dans la Constitution de l'abolition définitive de tout allègement fiscal ?

08 février 2007

Ils voient le diable partout



Un mot concernant le procès retentissant fait à Charlie Hebdo pour ses caricatures. On pourrait en rire tant ce battage juridique autour de quelques dessins paraît ridicule. D'autant que le jour de l'ouverture du procès les plaignants sont absents !
Mais le seul fait d'ouvrir une procédure judiciaire pour si peu paraît incroyable en démocratie.
Et surtout, le triste constat qui s'impose est que la chasse au sorcières est hélas bien courante en France.
J'ai évoqué l'exclusion récente de Georges Frèche du Parti Socialiste, et sa condamnation à 15000€ d'amende, pour sanction de quelques mots déplacés.
Il y a quelques jours le journal Entrevue jugeait bon de se passer des services de Gérald Dahan dont le crime était d'avoir fait une blague de potache à l'encontre de Ségolène Royal.
Pas plus tard que ce matin sur France Inter, monsieur Demorand, dans le rôle de l'évêque Cauchon, a cherché une heure durant, avec virulence et sectarisme à faire "avouer" à son invité Alain Finkielkraut qu'il était "réac" et raciste.
Dans Libération ce jour, on peut lire que Ségolène Royal sort « ses griffes de gauche ».
Dans le texte ça se traduit par un torrent vertigineux d'imprécations et d'anathèmes qui rappelle les pires moments de l'agitprop. Complètement désinhibée, la candidate dans ses discours, n'hésite pas en effet à qualifier ses adversaires de « droite dure, agressive, sans principes, sans vertu républicaine ». Elle accuse même cette Droite de connivence avec le diable en personne : « elle se bushise » !
Madame Royal, qui éprouve la nécessité de gérer une partie de son modeste patrimoine en Société Civile Immobilière, qui avoue faire partie des quelques pour-cents de contribuables les plus riches de France, vocifère contre les «profits rapaces», «fainéants», «arrogants», «avides», et dénonce les «masses financières aberrantes et indociles».
Et plutôt que d'éclairer sur le fond de ses idées, elle
déroule un discours revanchard incohérent, rempli de haine et lourd de menaces : « pour ces conglomérats de la finance et des médias, il y en a tellement [d'argent] à perdre si la gauche gagne cette élection présidentielle. »
Ce soir on peut lire un peu partout que François Bayrou, s'interroge sur sa participation à l'émission de TF1 « j'ai une question à poser », au motif qu'une des sociétés du programme, serait dirigée par Dominique Ambiel, partisan du ministre de l'intérieur (lequel n'a pourtant pas été ménagé par les contradicteurs lors de son propre passage à l'antenne). « C'est en réalité l'UMP qui est aux commandes de ce type d'émissions » a-t-il lancé ex-cathedra !
Quant à José Bové, qui en veut lui au monde entier, et qui se croit autorisé à casser tout ce qui lui évoque le démon de la Liberté, il annonce crânement qu'il fera campagne à partir de la prison dans laquelle il vient d'être condamné à séjourner quelque temps !
Mais où va-t-on ?
Si les choses continuent d'évoluer dans ce sens, il ne faudra pas s'étonner outre mesure si le résultat du scrutin réserve "une grosse surprise" le 22 avril prochain...

07 février 2007

Le bazar bizarre des Beaux-Arts

Le centre Pompidou vient de fêter ses 30 ans.
Ce musée s'inscrit-il comme la manifestation d'une sincère volonté novatrice ou plus prosaïquement celle d'une certaine « branchitude » politique ?
Le président Pompidou n'était pas vraiment ce qu'on peut appeler un m'as-tu-vu avide de gloriole, il faut donc lui rendre cette justice : il crut probablement bien faire en tentant hardiment de réaffirmer la prééminence malmenée de Paris en tant que capitale artistique.
Il y réussit au premier abord si l'on s'en tient à la fréquentation de cette nouvelle Mecque des arts. Deux cents millions de visiteurs en trois décennies, on ne peut pas dire qu'il s'agisse d'un caprice réservé à quelques snobs.
Est-ce encore de l'art pour autant ?
Cette notion est si galvaudée de nos jours qu'il s'avère difficile de se prononcer. A l'évidence, le pouvoir d'attraction des manifestations dites artistiques relève davantage de la curiosité que de la quête spirituelle.
Le musée accueille en ce moment une exposition consacrée à Tintin. Même s'il on s'avoue sensible au charme dégagé par les bandes dessinées d'Hergé, il semble tout de même difficile d'y voir l'expression de l'indicible.
J'entendais il y a quelques jours Dominique de Villepin s'extasier devant les monumentales tâches noires de monsieur Soulages. Il voyait derrières ces griffures obscures, la lumière « éclater » et vantait dans le style pompier qu'on lui connaît, la sublime beauté de ces contrastes assez répétitifs.
D'autres se confondent en extase au sujet du bleu monochrome dont Yves Klein barbouillait avec jubilation tout ce qui lui tombait sous la main. Ou bien devant les géniales roues de bicyclettes de Duchamp, ses urinoirs rebaptisés « fontaines », ou encore les « installations » bancales, de feutre de métal et de graisse conçues par Joseph Beuys.
Les exemples foisonnent de ces machins sans âme, où le procédé l'emporte sur l'inspiration. Remarquez comme chaque artiste paraît de nos jours avant tout animé du désir de s'originaliser, de trouver sa marque de fabrique qui sera ensuite déclinée de manière pléonastique.
L'empreinte de la civilisation industrielle et du matérialisme de la société occidentale a bon dos.
Il n'y a dans tout cela guère d'émotion, et rien ne porte vraiment à l'élévation comme le chantait Baudelaire.
Du bâtiment, qui fit tant couler d'encre, que penser ?
Avec le recul, l'oeuvre des architectes Piano et Rogers n'est ni belle ni laide, ou bien les deux à la fois, selon l'angle sous lequel on la regarde. Assez ordinaire pour tout dire.
Elle emprunte ses matériaux, sa conception aux techniques industrielles. On l'appela d'ailleurs par dérision la "raffinerie", "l'usine à gaz", "Notre Dame des tuyaux"...
Après 30 ans, l'impression reste la même, mitigée.

L'audace paraît bien tiède quand on la compare au musée Guggenheim de Bilbao. Quant au rayonnement, il n'éclipse pas celui du MOMA.
Donc Pompidou et l'Etat tentaculaire, omniscient n'ont ni bien ni mal fait. La révolution promise a fait long feu et Beaubourg apparaît avant tout comme une sorte de bazar culturel bigarré, bien achalandé mais sonnant le creux, comme sa tuyauterie.


05 février 2007

Les miradors de la pensée


L'exclusion récente de Georges Frèche du Parti Socialiste pour deux phrases provocatrices montre à quel point s'exerce désormais le zèle des gardiens de la correction politique.
Je n'ai aucune sympathie pour le pontife « septimaniaque » qui vient de subir les foudres des caciques de son clan. Je m'interroge même sur l'indulgence de ces derniers vis à vis d'un homme, qui depuis si longtemps piétine avec délectation les soi-disant idéaux socialistes. Qui se comporte comme un pacha méprisant, faisant comme l'a révélé l'émission Capital, transporter son auguste personne par un luxueux véhicule de fonction 4x4 acquis aux frais du contribuable, et qui va jusqu'à orner ses chiottes présidentielles de balais signés Philippe Starck !
Ses propos sont à la mesure de son comportement, grossiers et vulgaires.
Mais lorsqu'on les met en balance avec ceux que tient parfois Ségolène Royal, candidate à la présidence de la République, on peut s'interroger sur la gravité relative des choses.
Au plan sémantique, quand Frèche affirme qu'il y a trop de Noirs dans l'équipe de France de football, c'est idiot sans nul doute, mais est-ce vraiment plus choquant au pays de la parité, que d'entendre madame Royal affirmer qu'elle partage l'opinion du Hezbollah sur les Etats-Unis, ou vanter les mérites du système économique et de la justice chinoises ?
Il y a manifestement deux poids deux mesures, dans l'appréciation de l'excès, et force est de constater qu'une curieuse censure du langage s'exerce dans notre pays.
Les exemples de cette myopie de l'esprit critique sont légions.
Il m'est arrivé déjà de flétrir les lâches complaisances de nos dirigeants face aux déclarations d'intentions monstrueuses du président iranien, alors qu'ils ne cessent de rappeler les méfaits passés de l'antisémitisme, qu'ils multiplient les théâtrales mais assez vaines commémorations, tout en promulguant des lois sur le négationisme, qui pourraient évoquer le royaume d'Ubu si le sujet n'était si grave.
A force de chercher à prévenir après coup les dangers, on finit par ne pas voir les criantes évidences qui menacent l'avenir. A force de crier au loup à tout bout de champ, on endort la vigilance.
Comment ne pas comparer la virulence extrême avec laquelle est condamnée a posteriori la désormais bien sage église catholique, et la mansuétude dont on fait usage pour parler de l'islam et de son intolérance très actuelle. Les reculades récentes au sujet d'expositions, de spectacles, ou d'écrits susceptibles d'offusquer les musulmans sont de ce point de vue très inquiétantes. D'autant plus que les faux jetons de la bien-pensance, qui s'aplatissent devant les diatribes anti-occidentales, ont tendance à rejetter avec mépris les rares ouvertures faites par le monde islamique au motif que la culture et l'enseignement ne seraient pas des marchandises qu'on peut délocaliser : le projet d'un Louvre et d'une Sorbonne dans l'émirat d'Abu Dhabi par exemple...
Dans les salons évolués on rigole grassement de pesantes et répétitives caricatures d'hommes politiques ou de vedettes du showbiz, basées quasi exclusivement sur leur apparence physique, leur maladie, leur âge ou leur supposé quotient intellectuel, mais les coqs moqueurs, qu'on aurait pu croire très larges d'esprit, se dressent sur les ergots de leur petite vertu lorsqu'ils entendent Sarkozy parler de racailles pour qualifier des voyous de la pire espèce. Ils poussent des cris d'orfraie à la seule évocation du nom de Pascal Sevran. Ces apôtres de la nouvelle morale sulpicienne, ne paraissent aucunement gênés par le mépris ordurier dans lequel ils tournent en rond car les oeillères qui bornent leur esprit malingre réduit dramatiquement le champ de leur pensée.
Le plus grave toutefois est quand ces censeurs intransigeants érigent en certitudes des croyances médiévales. Quand séduits par des théories aussi clinquantes que superficielles, ils se mettent à suivre tels les enfants derrière le joueur de flûte de Hamelin de douteux mentors maniant habilement le mensonge et les fallacieuses assimilations.
Ils finissent par perdre alors tout sens critique et en viennent à justifier des actes violents au nom de la « désobéissance civique », ou même à trouver des vertus aux dictateurs ou aux terroristes pourvu qu'il soient anti-américains.
N'est pas Thoreau, Gandhi, ou Martin Luther King qui veut et quand on se prend un peu trop pour un ange, il se trouve bien souvent qu'on fasse sans même en avoir conscience, la bête.
L'esprit de système est une plaie parce qu'il a l'apparence de la logique, mais d'une logique dans laquelle abonde les syllogismes pernicieux. Eugéne Ionesco l'avait fort bien montré dans une des ses pièces particulièrement percutante : la rhinocérite est une maladie qui se propage dans un enfer... pavé de bonnes intentions !

04 février 2007

Le nouvel inconscient


Lorsqu'on tente d'analyser le fonctionnement du cerveau humain, on ne peut éviter d'évoquer la dualité opposant le champ de la conscience à celui de l'inconscient. On ne peut échapper non plus à la problématique complexe des relations entre l'esprit et le corps. Enfin, naturellement surgit tôt ou tard la question fondamentale de l'existence de l'âme.
Autrefois c'étaient les philosophes, les romanciers, les dramaturges, qui se penchaient sur ces questions ardues. Aujourd'hui ce sont plutôt les savants, neurologues ou neurobiologistes.
La première étape de leur réflexion part habituellement de constats cliniques ou paracliniques faits sur des sujets atteints de diverses altérations du fonctionnement cérébral. Les dissections et l'anatomie post-mortem furent une des premières méthodes pour corréler les symptômes aux lésions. Les progrès techniques importants en imagerie fonctionnelle, notamment par résonance magnétique nucléaire (IRM) permettent désormais, à la manière d'une moderne phrénologie, de faire des relevés topographiques précis in vivo et d'en déduire par voie de conséquence le rôle supposé de telle ou telle aire de l'encéphale dans certains processus psychiques.
Pour autant, si tant est qu'elle soit un jour accessible à la préhension, les scientifiques paraissent encore loin de percevoir l'âme au bout de leur scalpel électronique...
Cela ne les empêche pas de faire des hypothèses, tel Lionel Naccache qui vient de publier un ouvrage dans lequel il met l'inconscient sur le gril des techniques modernes tout en tentant un parallèle avec les supputations de la psychanalyse freudienne.
La première partie de l'ouvrage est consacrée aux observations relatives à diverses dysfonctions du cerveau (pour un ordinateur on parlerait de bugs...).
On y découvre par exemple le phénomène de vision invisible (blindsight) ressenti par des personnes victimes de lésions portant sur les aire visuelles occipitales chargées de décrypter les images en provenance de la rétine. Bien que cette dernière ne présente aucun défaut, ces malades se comportent à première vue si l'on peut dire, comme des aveugles pour la partie du champ visuel représentée par l'aire endommagée. Pourtant, bien qu'affirmant ne rien voir, ils sont capables d'indiquer précisément l'endroit où se situe la source inscrivant un point lumineux dans cette partie de leur champ visuel. Le neurologue attribue cette précision « inconsciente » au fait qu'il existe, outre les deux nerfs optiques, des voies nerveuses accessoires reliant l'oeil à une petite structure cérébrale appelée colliculus supérieur. Sans donner la sensation de voir, ces nerfs seraient la preuve qu'existe une sorte de perception inconsciente.
Autre pathologie étonnante, la lésion du corps calleux, qui assure la liaison entre les deux hémisphères (split-brain). Elle conduit à percevoir des choses sans faire un lien entre elles et la réalité objective. Ainsi un malade voit sa main gauche mais se révèle incapable de préciser qu'il s'agit de la sienne. Pus fort, il nie même. Seul dans une pièce, il voit bien deux mains mais n'en revendique qu'une ! Il peut même inventer une foule d'explications plus ou moins farfelues, mais qui excluent constamment que cette main soit la sienne, comme si son schéma corporel était réduit à une seule moitié.
On peut rapprocher de ce curieux symptôme, les affabulations caractérisant l'encéphalopathie de Korsakov. Le sujet oublie à mesure les événements qui peuplent sa vie mais les remplace, inconsciemment par des faits inventés, comme s'il cherchait à donner un semblant de cohérence à ses propos.
Un cas non moins étrange est celui de l'agnosie visuelle aperceptive causée par une altération temporo-occipitale : le sujet atteint voit un objet, mais est dans l'impossibilité de le nommer ou d'en définir l'usage, bien qu'il puisse le reconnaître et s'en servir dès qu'il l'a en main, ce qui prouve que son intellect est toujours en mesure de savoir de quoi il s'agit (une cafetière par exemple).
Ces exemples tirés de contextes pathologiques montrent à l'évidence l'importance des processus inconscients dans l'activité psychique.
Ils démontrent également que même avec des organes sensoriels intacts, et une capacité de raisonnement logique conservée, un individu peut en toute conscience émettre des affirmations totalement fausses. Hors du contexte pathologique, un certain nombre d'illusions visuelles sont susceptibles de conduire à un résultat équivalent.
Personne ne doute de l'existence de l'inconscient. Il gouverne un certain nombre de processus sous commande nerveuse : le coeur qui bat, les intestins qui digèrent, les poumons qui respirent. Avec une particularité intéressante pour ces derniers. La plupart du temps, on ne se soucie guère de savoir si l'on respire ou non. Pourtant, il n'est rien de plus facile que d'agir consciemment sur sa respiration (sans pouvoir l'arrêter totalement toutefois).
On peut déduire des observations sus-décrites que dans l'univers psychique, l'inconscient joue à l'évidence un rôle majeur dans la gestion des souvenirs, autrement dit de ce tout qui fait l'expérience. Il sert non seulement à se repérer dans l'espace-temps mais également à alimenter l'imagination.
Manifestement, certaines lésions cérébrales dégradent ce subtil mécanisme :
-Soit en inhibant certains processus inconscients (lésion du corps calleux)
-Soit en les faisant remonter au contraire au niveau de la conscience où ils viennent prendre la place des souvenirs (Korsakoff)
Tout se passe en quelque sorte, comme si l'inconscient agissait à la manière d'un programme s'exécutant en tâche de fond, en étroite coopération avec la conscience.
L'originalité de la thèse de Lionel Naccache est de confronter l'inconscient cognitif, tel qu'il est dévoilé (en toute petite partie) par l'approche neuroscientifique, à celui de « refoulement », imaginé par Sigmund Freud.
Son propos paraît toutefois ambigu car s'il avoue une admiration sans mesure pour le psychanalyste viennois, il réfute pourtant totalement ses thèses.
Pour Naccache, Freud est un découvreur : « La thèse que je défends dans cet essai peut être illustrée par la métaphore suivante : Freud peut être envisagé comme le Christophe Colomb de notre univers mental. » et plus loin : « Nous reconnaissons dans « l'inconscient » de Freud une immense découverte psychologique qui a révolutionné la connaissance que nous avons de nous-mêmes ».
Mais à l'instar de Colomb, Freud s'est semble-t-il tout simplement trompé de cible : « Dans sa description de l'inconscient, Freud n'hésite pas à attribuer à l'inconscient un jeu d'attributs qui nous semblent être le propre de la conscience : mode de pensée stratégique, durée de vie des représentations mentales inconscientes libérée des contingences de l'évanescence temporelle, caractère intentionnel et spontané. »
Autrement dit ce que Freud a exploré ce ne serait ni plus ni moins que la conscience...
Surprenant, car dans le même temps, Lionel Naccache s'avoue séduit par l'approche psychanalytique de l'esprit humain, quasi darwinienne ou copernicienne. Comme la Terre n'est qu'une petite planète tournant autour d'une petite étoile perdue dans l'univers, comme l'homme n'est qu'une étape d'un processus évolutif riche de plusieurs milliards d'années, notre vie consciente loin résumer notre vie mentale, ne constituerait « que la pointe visible de l'iceberg ou dont la partie cachée correspond aux nombreuses cogitations inconscientes. »
Cette appréciation fondée sur des analogies hasardeuses est pour le moins inattendue sous la plume de quelqu'un qui résume l'apport de Freud à une « posture consciente interprétative » et qui enfonce le clou en suggérant que le contenu de ces interprétations « paraît erroné »...
Où donc est l'iceberg puisque selon Naccache, l'inconscient de Freud ce n'est rien d'autre que la conscience ? Où donc se situe la découverte puisque les interprétations sont des illusions : « les contenus de ces interprétations et leurs fondements théoriques ne renvoient pour moi à aucune réalité objective tangible», « la vie psychique envisagée depuis ce lieu intime qu'est notre fonctionnement conscient est une construction fictive » ?
Où donc enfin se situe l'apport scientifique, si l'on admet qu'«une croyance n'est pas un fait de science échangeable et modifiable au gré de notre raison » ?
En définitive, en dépit de certaines précautions oratoires, cette réflexion ressemble fort à un réquisitoire alambiqué mais terrible contre l'approche psychanalytique des phénomènes psychiques. Réquisitoire dépassant d'ailleurs largement la personne de Freud pour englober l'ensemble du dispositif : « la cacophonie théorique, le fonctionnement éclaté de sociétés psychanalytiques, notamment en France, dessine très souvent le tableau désolant ou amusant de guerres de chapelles. »
Le sous-titre du livre semble donc plutôt mal choisi. Puisque Freud est en somme un « maître de fictions », une sorte de bonimenteur inspiré de l'âme humaine, Lionel Naccache qui juge opportun de terminer son propos scientifique par un « éloge de la fiction », aurait peut-être du reprendre en exergue, sa conclusion : « Freud, un romancier de génie égaré dans l'univers de la neurologie et des neurosciences »...

02 février 2007

Le président fait boum...


Interrogé lundi dernier par des journalistes du New York Times, Jacques Chirac a manifesté une inquiétante propension aux errements intellectuels.
L'entretien qui devait porter sur les changements climatiques et le développement durable a dérapé lorsque le président a souligné la nécessité pour les programmes basés sur l'énergie nucléaire, d'être transparents et maitrisés.
Evoquant spontanément les vélléités iraniennes en la matière, il a considéré tout d'abord comme très dangereux le fait que l'Iran refuse de cesser la production d'uranium enrichi. Mais l'instant d'après il déclara qu'il n'y aurait pas grand chose à craindre s'il se dotait d'une, voire de deux bombes atomiques : "Où pourraient tomber de telles bombes ?" a-t-il demandé. "Sur Israël ? Elles n'auraient pas parcouru deux cent mètres que Téhéran serait rasée !" (sous-entendait-il une prompte et drastique intervention de la France, où suggèrait-il une piètre qualité des explosifs perses comme MAM au sujet de la Corée...)
Les bombes n'étant donc pas en soi dangereuses, il affirma que le véritable risque était l'émulation que leur possession pouvait entrainer notamment auprès de pays comme l'Egypte et l'Arabie Saoudite.
Propos plutôt étonnants d'autant qu'aucune de ces deux nations n'a émis le moindre désir d'engager à ce jour un programme nucléaire alors qu'il venait de confirmer implicitement que le programme soi-disant civil iranien cachait à l'évidence un objectif militaire.
Quelle mouche a donc piqué le président français ? Il a certainement eu conscience d'avoir gaffé puisque dès le lendemain, il jugea nécessaire de se rétracter. Les journalistes furent en effet rappelés afin qu'ils enregistrent des déclarations plus politiquement correctes.
Ces derniers relatent que Jacques Chirac donnait l'impression d'être mal à l'aise lors du premier entretien. Il tremblait, se faisait fréquemment souffler par son entourage des réponses, et en lisait d'autres sur un papier, dactylographiées en gros caractères surlignés en jaune ou en rose...
Les journalistes américains évoquent l'antécédent d'accident vasculaire cérébral dont fut victime l'hôte de l'Elysée il y a quelque temps, et rapportent que plusieurs personnalités font état de propos beaucoup moins précis depuis cette date...
On comprend mieux dès lors, qu'il puisse confondre libéralisme et communisme dans la même abjection !
Pourvu qu'il n'appuie pas sur le bouton en croyant éteindre le réchauffement climatique !

31 janvier 2007

SOMMAIRE GENERAL

LISTE ANTI-CHRONOLOGIQUE DES ARTICLES
  1. Comediante ! Tragediante ! (propos)28/08/2008
  2. Ombres chinoises, poupées russes (propos)17/08/2008
  3. Machines à penser (propos)07/08/2008
  4. Soljentitsyne : un géant s'efface (propos)05/08/2008
  5. Les petites rapporteurs de la santé (propos)03/08/2008
  6. Du libéralisme et des blogs (propos)28/07/2008
  7. Rêveries estivales (propos)26/07/2008
  8. A la recherche du paradis perdu (propos)08/07/2008
  9. Un mystère colombien (propos)06/07/2008
  10. La douche irlandaise (propos)29/06/2008
  11. De l'enfer au paradis avec le Blues (musique)17/06/2008
  12. Obamania (propos)15/06/2008
  13. Beaucoup de bruit pour pas grand chose (propos)06/06/2008
  14. Le Soleil se lève aussi sur Mars (propos)05/06/2008
  15. Smooth Operator (musique)28/05/2008
  16. La soupe libérale (lecture)24/05/2008
  17. Méditation transcendantaliste (lecture)22/05/2008
  18. Un peu de lumière à travers les nuages (propos)18/05/2008
  19. Un oiseau de mauvais augure (propos)17/05/2008
  20. La France s'amuse (propos)15/05/2008
  21. C'est Kant qu'Onfray assassine... (lecture)30/04/2008
  22. Let there be Blues (musique)28/04/2008
  23. Let the Good Times Roll (musique)25/04/2008
  24. Au secours, encore un rapport ! (propos)11/04/2008
  25. Le dilemme afghan (propos)03/04/2008
  26. Tocqueville sous le scalpel des exégètes (lecture)31/03/2008
  27. La Madone et le Libéralisme (propos)30/03/2008
  28. Mort où est ta victoire ? (propos)24/03/2008
  29. Le diable est Monsanto (propos)15/03/2008
  30. Spleen de fin d'hiver (propos)09/03/2008
  31. E Pluribus Nihil (propos)22/02/2008
  32. Back to Black (musique)15/02/2008
  33. Rites et arcanes (propos)09/02/2008
  34. Des jugements pu cartésiens (propos)07/02/2008
  35. Le secret de Jefferson (propos)31/01/2008
  36. Notre existence a-t-elle un sens ? (propos)18/01/2008
  37. Relire Tocqueville (propos)10/01/2008
  38. Happy Bluesy Year (musique)04/01/2008
  39. Une belle fin d'année (propos)28/12/2007
  40. Le monde selon Andrew Wyeth (peinture)21/12/2007
  41. Le cirque Kadhafi (propos)20/12/2007
  42. Attention culture en péril (propos)16/12/2007
  43. Ivresses (propos)6/12/2007
  44. Les variations Goldberg (musique)27/11/2007
  45. Les obscurs fondements de la haine (propos)26/11/2007
  46. L'esthétisme glacé de Stanley Kubrick (cinema)17/11/2007
  47. In memoriam Norman Mailer (propos)16/11/2007
  48. Honneur à Charles Lindbergh (propos)13/11/2007
  49. Brothers in arms (propos)9/11/2007
  50. Vers des hôpitaux de concentration (propos)8/11/2007
  51. L'épreuve de force (propos)29/10/2007
  52. Aux fanatiques de la vertu (propos)23/10/2007
  53. Contes de la folie ordinaire (propos)22/10/2007
  54. Ce grand cadavre à la renverse (lecture)9/10/2007
  55. Les nouveaux calotins (propos)9/10/2007
  56. Se souvenir de si belles nuits (musique)6/10/2007
  57. La Cour fait ses comptes (propos)25/09/2007
  58. Poncifs et idées reçues (propos)18/09/2007
  59. De la sottise érigée en art médiatique (propos)14/09/2007
  60. Fine and mellow (musique)5/09/2007
  61. Riches heures en Saintonge (propos)30/08/2007
  62. Expectative (propos)24/08/2007
  63. Nuages (propos)14/08/2007
  64. L'été en pente douce (propos)12/08/2007
  65. Raisons d'état (cinema)8/08/2007
  66. Profession cinéaste (cinema)3/08/2007
  67. Le dernier roi d'Ecosse (cinema)30/07/2007
  68. Love the hard way (cinema)30/07/2007
  69. Mauvaise foi (cinema)30/07/2007
  70. Célibataires (cinema)30/07/2007
  71. Bobby (cinema)30/07/2007
  72. Le voile des illusions (cinema)30/07/2007
  73. Le pafum (cinema)30/07/2007
  74. Like a Rolling Stone (lecture)26/07/2007
  75. Eloge de la promenade (propos)19/07/2007
  76. Sommes-nous des boucles étranges ? (lecture)12/07/2007
  77. Paul Morand et la Grosse Pomme (lecture)09/07/2007
  78. David Lynch, un cinéaste excentrique (cinema)02/07/2007
  79. Apocalypto, voyage au bout de la peur (cinema)30/06/2007
  80. L'Europe à nouveau sur les rails (propos)25/06/2007
  81. L'homme révolté (lecture)24/06/2007
  82. Les fantômes de la Liberté (propos)20/06/2007
  83. De Natura Rerum (peinture)13/06/2007
  84. Instants fragiles (propos)09/06/2007
  85. La tentation de Venise (publication)01/06/2007
  86. L'âme des écrivains (propos)30/05/2007
  87. American Black Box (lecture)28/05/2007
  88. Michael est de retour... (propos)22/05/2007
  89. Black pearls (musique)16/05/2007
  90. I did what I thought was right (propos)11/05/2007
  91. Honni soit qui Malte y pense (propos)10/05/2007
  92. Un vote d'adhésion (propos)07/05/2007
  93. Un Américain au dessus de tout soupçon (propos)05/05/2007
  94. Un débat guère inspiré (propos)03/05/2007
  95. Une élection fera-t-ele le printemps ? (propos)01/05/2007
  96. Stratégie insulaire ? (propos)27/04/2007
  97. De la nature dévoyée du credo anti-libéral (propos)24/04/2007
  98. Intemporalité de la beauté (propos)18/04/2007
  99. Retour vers le passé (propos)17/04/2007
  100. World Trade Center (cinema)04/04/2007
  101. A chacun sa vérité (propos)02/04/2007
  102. La nouvelle bureaucratie sanitaire (propos)27/03/2007
  103. Un coup de blues (musique)22/03/2007
  104. Waterloo morne plaine (propos)15/03/2007
  105. De la démocratie active (II) (lecture)12/03/2007
  106. Non à la solution finale légale... (propos)09/03/2007
  107. Les rois de l'illusion (propos)08/03/2007
  108. Une amitié bien versatile (propos)02/03/2007
  109. L'univers, les dieux et les hommes (lecture)01/03/2007
  110. L'hôpital dans tous ses états (publication)28/02/2007
  111. La lumière et la grâce (peinture)26/02/2007
  112. The deep blue sea (peinture)19/02/2007
  113. L'embaumement du pharaon (propos)09/02/2007
  114. Voyage au centre de la conscience (lecture)09/02/2007
  115. Pas d'alternative à la confiscation fiscale (propos)09/02/2007
  116. Ils voient le diable partout (propos)08/02/2007
  117. Le bazar bizarre des Beaux-Arts (propos)07/02/2007
  118. Les miradors de la pensée (propos)05/02/2007
  119. Le nouvel inconscient (lecture)04/02/2007
  120. Le président fait boum (lecture)02/02/2007
  121. Le livre de raison d'un roi fou (lecture)31/01/2007
  122. De la Démocratie active (propos)26/01/2007
  123. Un pont entre écologie et business (propos)25/01/2007
  124. La mer est ronde (propos)24/01/2007
  125. Le Nouveau Monde (cinema)24/01/2007
  126. Déposez vos hommages*... (propos)23/01/2007
  127. De la liberté (lecture)22/01/2007
  128. On n'est pas couché devant la pensée unique (propos)22/01/2007
  129. Comment parler des livres qu'on n'a pas lu ? (lecture)19/01/2007
  130. L'arène de France (propos)18/01/2007
  131. L'Irak entre espoir et chaos (propos)17/01/2007
  132. Morituri te salutant (propos)15/01/2007
  133. George W. Bush est-il aussi mauvais qu'on le dit ?... (propos)09/01/2007
  134. Je n'en voeux plus... (propos)09/01/2007
  135. Paris est une fête (propos)02/01/2007
  136. L'attente commence quand il n'y a plus rien à atte... (propos)27/12/2006
  137. S'il vous plait, dessine-moi un pôle... (publication) 26/12/2006
  138. Land of plenty (cinema)26/12/2006
  139. Le mystère de Nicolas de Staël (peinture)19/12/2006
  140. Pour Jean-François Revel, et Direct 8... (propos)15/12/2006
  141. Ségolades et Douste-blablas (propos)09/12/2006
  142. La méthode assimil (propos)06/12/2006
  143. Etonnante Amérique des cloîtres (lecture)01/12/2006
  144. Comment défendre notre alma mater ? (propos)30/11/2006
  145. Une épopée fantastique (propos)28/11/2006
  146. La véritable horreur économique (propos)27/11/2006
  147. La tyrannie de la pénitence (lecture)19/11/2006
  148. Un phare de l'humanité s'éteint... (propos)17/11/2006
  149. L'été d'un amour (propos)15/11/2006
  150. Regards furtifs sur l'Arabie heureuse... (propos)11/11/2006
  151. Solitude du pouvoir (propos)09/11/2006
  152. Chronique de la pensée unique (propos)06/11/2006
  153. La fascination du pire (lecture)25/10/2006
  154. Basic instinct 2 (cinema)24/10/2006
  155. La sagesse tragique (lecture)23/10/2006
  156. L'art d'avoir toujours raison (lecture)23/10/2006
  157. Ils corrompent nos têtes (lecture)17/10/2006
  158. La leçon de ce siècle (lecture)14/10/2006
  159. Le pays du matin calme vous salue bien (propos)12/10/2006
  160. Le convoyeur (cinema)12/10/2006
  161. Zumbach's coat (musique)11/10/2006
  162. Une théorie de la justice (lecture)07/10/2006
  163. L'utopie du professeur Nimbus (lecture)03/10/2006
  164. La vengeance est un plat qui se mange froid... (propos)28/09/2006
  165. The ballad of Jack and Rose (cinema)27/09/2006
  166. Il n'est de pire aveugle que celui qui ne veut pas... (propos)22/09/2006
  167. Le grand méchant mou (propos)20/09/2006
  168. Les cieux et les dieux sont incertains... (propos)15/09/2006
  169. Que la Liberté guide nos pas... (propos)11/09/2006
  170. En France, l'opinion ne Bush guère... (propos)08/09/2006
  171. Ah ! ça Iran, ça Iran, ça Iran... (propos)08/09/2006
  172. Je fusionne, tu fusionnes, ils fusionnent... (propos)08/09/2006
  173. God bless you, Bob (musique)06/09/2006
  174. V pour vendetta : vers le meilleur des mondes ? (cinema)31/08/2006
  175. Retour vers le meilleur des mondes (lecture)28/08/2006
  176. Honni soit qui Google y pense... (propos)23/08/2006
  177. L'enfer est souvent pavé de bonnes intentions (propos)23/08/2006
  178. Trois enterrements (cinema)23/08/2006
  179. The constant gardener (cinema)22/08/2006
  180. Et pan dans le Sénat ! (propos)21/08/2006
  181. La route de la servitude (lecture)18/08/2006
  182. La France prise à son jeu (propos)18/08/2006
  183. Les portes de la perception (lecture)07/08/2006
  184. La malédiction de l'Inca (propos)07/08/2006
  185. Nouvelles du front (propos)02/08/2006
  186. Du sang de la haine et de la mort (propos)28/07/2006
  187. Vénus et la mer (Lawrence Durrell) (lecture)20/07/2006
  188. Dors-tu content, Voltaire... (lecture)18/07/2006
  189. Enquête sur l'entendement humain (lecture)14/07/2006
  190. Les militants : voyage dans le zéro marxiste (lecture)11/07/2006
  191. Hommage à Thomas Jefferson (propos)07/07/2006
  192. C'est trop de la balle ! (propos)04/07/2006
  193. La mauvaise foi tranquille... (propos)04/07/2006
  194. July s'en va : libération ou coercition ? (propos)03/07/2006
  195. Les hôpitaux sont-ils des escrocs ? (publication) 26/06/2006
  196. Du fédéralisme et de ses bienfaits (propos)16/06/2006
  197. Le secret de Brokeback mountain (cinema)14/06/2006
  198. North Country (L'affaire Josey Aimes) (cinema)14/06/2006
  199. I'm a bluesman (Johnny Winter) (musique)14/06/2006
  200. Magic Time (Van Morrison) (musique)14/06/2006
  201. Le mythe de Sisyphe (Albert Camus) (lecture)14/06/2006
  202. Ecrits personnels (Ronald Reagan) (lecture)14/06/2006
  203. La face cachée du 11 septembre (Eric Laurent) (lecture)14/06/2006
  204. Le sourire du Tao (Lawrence Durrell) (lecture)14/06/2006
  205. The assassination of Richard Nixon (cinema)14/06/2006
  206. Walk the line (cinema)14/06/2006
  207. UNITAID : Jamais sans nos impôts... (propos)14/06/2006
  208. Encore une révolution à la française... (publication) 12/06/2006
  209. Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessair... (publication) 10/06/2006
  210. En quelques mots... 09/06/2006

Le livre de raison d'un roi fou


Pour tenter de sortir un peu du marais végétant et plutôt nauséabond dans lequel patauge la campagne présidentielle, je propose aujourd'hui aux personnes qui me font le grand honneur de lire ma médiocre littérature, une promenade de l'esprit un peu inhabituelle : je voudrais évoquer ce soir, au coeur de l'hiver, la vie extravagante de Louis II de Bavière (1845-1886) !
Il peut paraître étonnant de traiter un tel sujet ici.
Il s'agit d'un destin aristocratique en diable, qui paraît à mille lieues des concepts démocratiques et pragmatiques auxquels je suis si profondément attaché et que je tente d'explorer dans ce blog.
Mais il y a des choses qui ne s'expliquent pas... « Le coeur a ses raisons que la raison ne connaît pas. »
Je suis tombé sous le charme de cet être lunatique en découvrant le portrait magnifique et désespéré que Luchino Visconti fit de lui dans son film Ludwig ou le Crépuscule Des Dieux.


Il se trouve que je viens de relire l'ouvrage étonnant d'André Fraigneau, qui servit selon toute probabilité de guide poétique au cinéaste, et qui raconte de l'intérieur si je puis dire, l'errance de cet ultime représentant des monarques de droit divin, égaré à la lisière de la civilisation technique et industrielle.
Et cette lecture fait remonter une nuée de souvenirs éblouis.
Ce livre de raison d'un roi fou, conçu comme un journal intime, retrace l'itinéraire magique de ce « règne pur », enchâssé dans la neige et dans la glace, ivre d'horizons montagneux, empli de l'indicible clameur wagnérienne, en quête d'un absolu de beauté.

Ce roi était-il fou ? La question ne sera probablement jamais tranchée tant sa folie toucha souvent au sublime, et tant elle interrogera longtemps encore du haut de ses châteaux extravagants, la médiocrité du quotidien, faite de banalité et de confort.
De quelqu'un qui se prend pour un roi, on dit qu'il est fou; mais Louis II, si d'aucun le jugent fou n'en était pas moins roi, doté malgré lui de fantastiques pouvoirs : « Je ne connaissais pas la force de mon coeur, ni que ma puissance de sentir fût sans limite. »
Ce fatum vertigineux qui échut à cet enfant de la Lune, sans qu'il l'ait demandé, il le prit très au sérieux. Et il fit le serment de l'accomplir de manière exemplaire.
Louis fut amoureux intransigeant de la beauté. Comme il eut le malheur de n'être pas doué pour la création artistique, mais qu'il bénéficia du privilège d'être roi, il voulut que son règne fusse donc l'apothéose de l'art : « Sous tous les cieux, dans toutes les races, les hommes pourront parvenir par la liberté réelle à une égale force, par la force au véritable amour, par le véritable amour à la beauté. Et la beauté active, c'est l'art. »

Il se vit en messie de l'Art, avec Wagner comme instrument de son ambition. Et puisqu'à l'Art il faut au moins des palais, il décida d'être bâtisseur comme Louis XIV. Si possible en surpassant en magnificence son modèle.
Mais cette quête se révéla vite insensée car elle le conduisit à chevaucher en dehors des voies de la sagesse. Elle l'écarta inéluctablement de la réalité. En faisant des cimes de l'esprit son royaume, il se condamna à mépriser tout ce que sa charge comportait de trivial. Il épuisa son entourage à force d'exiger d'eux ce qu'ils ne pouvaient donner tout en raillant la mesquinerie de leur existence.
Ses ministres le lachèrent bien sûr, mais aussi Wagner, l'Ami comblé qui le trahira, ses valets qu'il choisissait pour leur beauté et pour lesquels il éprouvait une trouble attirance, et même Elisabeth sa cousine adorée, qui le comprit, mais qui refusa de l'accompagner dans son odyssée féérique.
Il finit par répudier l'acteur Kainz dont il s'était entiché jusqu'à lui faire réciter jour et nuit et en tous lieux les grands classiques, mais dont il ne supportait plus la lassitude et la fatigue trop humaines : « avec ce visage malingre, banal, éperdu, je prenais congé pour toujours de l'humanité courante, celle qui s'efforce vers le meilleur, retombe recommence, émeut, irrite, se croit sauve vis-à-vis du Ciel et pavera l'Enfer, jusqu'à la fin du Monde, de ses bonnes intentions. »
Il comprit sans doute la déchéance vers laquelle il était irrémédiablement attiré, et selon l'opinion de Fraigneau, il se reprocha même de s'être abandonné à la malédiction : « Je ne suis plus qu'une poussière d'éclats brisés où rien ne se réfléchit plus et plus dangereux qu'un poison ou qu'une arme. Cette poudre de glace, brillante et coupante, ne sait plus que détruire. Par un bénéfice bizarre, elle est indestructible. Satan, c'est peut-être, au creux du Monde, au creux de l'infini, une pincée de verre pilé. »
Cependant, au moment de basculer dans l'infini, c'est l'espoir de rédemption qui fut le plus fort : « Je me sentirai réintégré, absous, admis. Et comme le promet Platon, je pourrai voir à la fin le soleil, non seulement dans les eaux et dans les objets où il se réfléchit, mais lui-même, à la place où il se trouve. »


Louis II qui avait 41 ans à peine, fut retrouvé noyé, avec son médecin le docteur Von Gudden, dans le lac du château de Berg où il avait été interné à peine 48 heures auparavant...

Il ne fut pas vraiment un mauvais roi puisqu'il n'avait aucune répugnance à déléguer les tâches dans lesquelles il ne s'estimait pas compétent. Il avait en horreur la guerre, et accepta de bonne grâce le grand dessein de l'unification allemande, sous la férule de Bismarck.
S'agissant de son parcours artistique, le bilan en fut plutôt éclatant. Il procura à Wagner toutes les facilités dont il pouvait avoir besoin pour exprimer son talent, il parsema son petit pays d'incroyables ouvrages architecturaux qui le ruinèrent temporairement mais qui font sa fortune touristique aujourd'hui encore : le charmant pavillon baroque de Linderhof et sa grotte romantique rococo, le monumental Herrenchiemsee aux proportions versaillaises, et l'inexpugnable nid d'aigle Neuschwanstein où il se retrancha avant d'être destitué.
Paul Verlaine fut sensible à la passion de Louis II, à son rêve inaccessible, qu'il évoqua dans un sonnet :
Roi, le seul vrai roi de ce siècle, salut, Sire,
Qui voulûtes mourir vengeant votre raison
Des choses de la politique, et du délire
De cette science intruse dans la maison,
De cette science, assassin de l’Oraison
Et du Chant et de l’Art et de toute la Lyre,
Et simplement ,et plein d’orgueil en floraison,
Tuâtes en mourant, salut, Roi ! bravo, Sire !
Vous fûtes un poète, un soldat, le seul Roi
De ce siècle où les rois se font si peu de chose,
Et le Martyr de la Raison selon la Foi.
Salut à votre très unique apothéose,
Et que votre âme ait son fier cortège, or et fer,
Sur un air magnifique et joyeux de Wagner.

26 janvier 2007

De la Démocratie active

Une fois n'est pas coutume, je me fends de propos élogieux pour l'émission de France-Inter animée par Nicolas Demorand (le Sept-Neuf Trente).
Elle fut le régal intellectuel de mon petit déjeuner ce matin, grâce à l'invité Stephen Breyer, juge à la Cour Suprême des États-Unis, qui avec douceur, humour, et en français, a donné aux auditeurs qui voulaient bien l'entendre, une lumineuse leçon de démocratie (à propos de son nouvel ouvrage : Pour Une Démocratie Active).


J'en ai retenu 3 points essentiels car transposables immédiatement dans le cloaque conceptuel qui caractérise actuellement la France :
-Dans une société libre et par nature responsable, il est vain et inutile de proposer des lois interdisant d'exprimer certaines thèses, notamment négationnistes. Les Américains, en avance sur nous, n'ont peur d'aucune opinion. Ils pensent en effet qu'il n'y a rien de tel pour montrer l'inanité d'un point de vue, que de le confronter aux autres.
-Les vertus du débat d'opinion : La peine de mort a peu de chances d'être abolie aux États-Unis tant que le peuple n'y est pas favorable dans son ensemble, même s'il n'y a rien de figé pour autant en la matière, comme le passé l'a montré, et pas de religion universelle. Tout est affaire de contexte. En France c'est le fait du prince qui s'est imposé, et ce dernier pour marquer son empreinte, veut désormais le rendre irréversible...
-La sanction par le vote : Dans un pays où l'information circule librement, il est idiot de reprocher à George Bush ses mensonges au sujet de l'Irak. Contrairement à ce qui se passe habituellement chez nous, le président n'a pas décidé seul l'intervention militaire. Tout comme Kennedy au Vietnam, il lui a bien fallu emporter la conviction de ses compatriotes. Le congrès dans son immense majorité a trouvé convaincante l'argumentation proposée, ainsi que les électeurs au moins jusqu'en 2004. Au demeurant, comme pour le Vietnam, si la raison immédiate invoquée était discutable, les arguments de fond ne manquaient pas.
On peut toujours gloser ou se répandre en vitupérations haineuses, la seule question qui vaille aujourd'hui est : comment faire pour éviter en Irak l'échec cuisant du Vietnam ?
Enfin, Mr Breyer a terminé avec un élégant hommage à Tocqueville, qui pourrait flatter les Français si seulement ils mesuraient à sa juste valeur l’œuvre de cet illustre compatriote...