Les chercheurs et chirurgiens du Rehabilitation Institute of Chicago (Illinois) ont ainsi la satisfaction d'avoir redonné à la patiente non seulement la fonction essentielle de pince manuelle mais la possibilité de mouvoir avec souplesse et tact son nouveau bras. Ils envisagent même à terme la possibilité d'élargir la technique aux stimuli sensitifs, via des capteurs dont les informations seraient par le chemin inverse, transmises au cerveau !
Autrement dit cette patiente plongée en état végétatif, sans aucun contact apparent avec son entourage, semble avoir en son for intérieur, des éclairs de conscience !
Imaginant un sujet atteint d'une affection détruisant progressivement les différentes structures cérébrales, le savant tente d'anticiper ce qui pourrait se passer si la science pouvait à l'aide de prothèses très sophistiquées, remplacer les unes après les autres, les aires ainsi détruites par la maladie. Au bout du compte selon lui, cette personne donnerait probablement l'impression d'être satisfaite de retrouver progressivement ses facultés, mais personne ne pourrait savoir si ce soulagement exprimé correspondrait in petto à une sensation pleinement consciente.
Si l'on en croit Daniel C. Dennet, il serait donc objectivement impossible de distinguer un robot suprêmement habile (clever robot) d'une personne réellement consciente.
Il semblerait qu'en dépit des progrès de la science nous n'en sachions donc guère plus que les contemporains de Platon et de Socrate.
De nombreux penseurs contemporains paraissent pourtant avoir fait leur choix.
En France, on compte Jean-Pierre Changeux parmi les tenants de cette thèse. Aux Etats-Unis, c'est Antonio R. Damasio qui l'exprime haut et fort depuis quelques années, stigmatisant notamment dans un ouvrage retentissant « l'erreur de Descartes ».
Pour le neurologue californien, la vision dualiste du corps et de l'esprit serait en effet un non sens. Il n'existe pas d'homoncule au sommet du cerveau, dont l'entité corporelle serait en quelque sorte le véhicule, et le cerveau l'ordinateur, capable d'intégrer et de gérer la multitude d'informations en provenance du monde, transmises par les organes sensoriels.
Tout serait lié et indissociable dans l'organisme humain, et ce qu'on appelle l'âme, ce qu'on imagine habituellement comme étant la partie la plus indicible de la conscience, « nonobstant le respect que l'on doit accorder à cette notion », l'âme « ne serait que le reflet d'un état particulier et complexe de l'organisme. »
S'il on admet ce schéma conceptuel, les progrès de l'intelligence humaine s'inscriraient dans le grand fatum évolutionniste darwinien, et il n'y aurait aucune finalité première à cette aventure étrange, née du chaos et abandonnée aux seules lois du hasard.
Ce n'est pas n'importe qui.
On lui doit la découverte des processus chimiques responsables de la propagation de l'influx nerveux, laquelle fut récompensée en 1964 par le prix Nobel de médecine.
John Eccles, en dépit de sa contribution très physique et matérielle au sujet, se refusait à une interprétation fermée de la conscience : « je maintiens que le mystère de l'homme est incroyablement diminué à tort, par le réductionnisme scientifique et sa prétention matérialiste à rendre compte du monde de l'esprit en termes de simple activité neuronale. »
Certes le cerveau est le siège d'une foule de processus sans doute accessibles, au moins en théorie, à l'explication rationnelle : « Si l'on admet que le cerveau est le siège de la personnalité consciente, il est clair que bien des parties du cerveau n'y sont pour rien ».
Mais il y aurait aussi quelque chose de « transcendant », quelque chose qui ne serait pas de nature matérielle et ne pourrait donc être réduit en équations. S'appuyant sur la physique quantique, Eccles soutient même qu'il n'y aurait pas de contradiction de principe à envisager l'existence d'une conscience indépendante du cerveau !
Bien que reconnaissant l'apport de Darwin, Eccles pense que l'apparition de la conscience marque la fin ou plutôt le sommet de l'évolution sur terre. La sélection naturelle n'aura plus de prise sur l'être humain et aucune autre espèce animale n'a plus la moindre chance d'évoluer vers la conscience de soi. La voie royale est définitivement tracée pour l'homo sapiens sapiens
Au surplus, l'immensité de l'univers comparée aux dimensions microscopiques du monde spatio-temporel dans lequel il évolue, le condamne vraisemblablement à rester irrémédiablement liée à sa planète d'origine. Raison très forte s'il en est de la préserver !
Mais il est une manière d'en sortir, c'est de postuler l'existence d'une entité extérieure à notre monde, autrement dit de Dieu.
C'est ce que fait Eccles qui le conçoit comme étant « le créateur de tous les êtres vivants qui sont apparus au cours de l'évolution, mais aussi de chaque personne humaine avec sa conscience de soi et son âme immortelle. »
Du coup, le monde est donc à nouveau plein d'espoirs, Eccles rejoint in fine son ami le philosophe Karl Popper, qui exprimait un optimisme éclatant en s'exclamant : « L'avenir est ouvert !»
Et il s'en sort par le haut si l'on peut dire. Nous sommes certes liés à notre chère vieille Terre mais seulement « tant que nous existerons sous forme corporelle ». Et c'est cette forme humaine qui définit pour l'heure la conscience : « l'évolution biologique s'est transcendée elle-même en fournissant la base matérielle – le cerveau humain – à des êtres conscients d'eux-mêmes dont la vraie nature est de chercher espoir et sens dans leur quête d'amour, de vérité et de beauté. »
Jacques Monod : le hasard et la nécessité
Jean-Pierre Changeux : l'homme neuronal
Jean-Pierre Changeux et Alain Connes : Matière à penser
Karl Popper et Konrad Lorenz : L'avenir est ouvert
Antonio Damasio : L'erreur de Descartes
Daniel C. Dennet : La conscience expliquée
John C. Eccles : Evolution du cerveau et création de la conscience